900ème Hilloula de Rachi


La vie de Rachi et celle de ses parents sont peu connues, mais nous savons qu’il a grandi dans une maison où régnait une atmosphère majestueuse de Tora. Son père, le Rav Yits’haq, était un Sage, et Rachi rapporte un de ses commentaires (‘Avoda Zara 75a). Son oncle, Rabbi Chim’on ben Yits’haq l’ancien, était lui aussi un Sage célèbre, disciple du fameux rabbénou Guerschom, surnommé la « Lumière de l’Exil ». Nous ignorons toutefois quelle a été son influence exacte sur Rachi. Selon la tradition, la famille de Rachi descendait du Tana Rabbi Yo’hanan HaSandlar, ce qui ferait de lui un descendant du roi David.

Diverses histoires se rapportent à sa naissance. L’une d’elles relate le courage extraordinaire de son père, qui a préféré jeter une pierre précieuse d’une très grande valeur à la mer, plutôt que de la vendre à des idolâtres qui l’utiliseraient alors pour les besoins de leur culte. Une voix divine s’est alors fait entendre et a proclamé qu’en récompense de son acte, le père de Rachi aurait un fils qui illuminerait le peuple d’Israël et le monde entier par sa sagesse…

Troyes, la capitale de la Champagne, comptait à cette époque environ 10 000 habitants, dont une centaine de familles juives qui s’adonnaient principalement à l’agriculture et à l’artisanat. La ville était alors réputée pour ses foires, ce qui en faisait un important centre de commerce et de passage où se retrouvaient des gens de divers pays. Il est rapporté que Rachi aurait gagné sa vie comme viticulteur. Il n’a pas appris les sciences ou les arts et, outre l’hébreu et l’araméen, il ne parlait que le français et un peu l’allemand, mais il a su tirer bénéfice de la moindre expérience qu’il a vécue à Troyes et comprendre profondément le monde extérieur. Ce qui lui a permis d’acquérir un large éventail de connaissances approfondies dans tous les domaines. On retrouve tout au long de ses commentaires la force de cette compréhension extraordinairement fine, en ce qui concerne tous les domaines et les événements de l’existence.

Rachi apprit la Tora dans sa jeunesse à Troyes, puis, après son mariage, il est allé étudier dans les grandes yechivoth rhénanes de Worms et de Mayence, sous la tutelle de son vieux Maître, Rabbi Ya’aqov ben Yaqar. Après le décès de ce dernier, Rachi continua à étudier auprès de son successeur, le Rav Yits’haq ben Elazar HaLevi, et enfin auprès de Rav Yits’haq ben Yehouda. De son mariage lui sont nées trois filles, qui se sont toutes mariées avec de grands Talmidé ‘Hakhamim. Les petits-enfants de Rachi compteront parmi les plus grands Sages de leur période et créeront l’école des Tossafistes, dont les commentaires sont imprimés sur toutes les pages du Talmud en face du commentaire de Rachi. Les plus célèbres d’entres eux sont Rachbam (Rabbi Chemouel ben Méïr) et Ya’aqov, surnommé Rabbénou Tam, en référence à Ya’aqov avinou, surnommé par la Tora «Tam », c’est-à-dire intègre, honnête et entier.

A l’âge de vingt-cinq ans, Rachi retourna à Troyes pour y fonder sa propre yechiva, tout en continuant à échanger des lettres avec ses Maîtres pour s’entretenir des questions du moment, mais surtout de Tora, et en particulier, de textes difficiles de la Guemara. L’influence de Rachi, due à sa grandeur hors du commun, s’est rapidement étendue aux quatre coins de l’Europe et les élèves ont commencé à affluer de partout. A un âge encore relativement jeune, Rachi était déjà considéré comme le Gadol haDor, le grand Sage de sa génération, au point que son propre Maître, Rav Yits’haq HaLévi, a pu lui dire dans une lettre : « La génération dans laquelle tu te trouves n’est point orpheline. » En effet, en dépit d’une grande modestie qui le faisait fuir les honneurs et les positions officielles d’influence, de nombreuses questions de Halakha lui étaient soumises, pour lesquelles chacun acceptait ses décisions, ayant conscience de sa valeur exceptionnelle. Au fil des années, avec l’augmentation du nombre des élèves venus étudier auprès de Rachi, Troyes et, plus généralement, les écoles de Champagne et de l’est de la France qui étaient sous son influence, devinrent le nouveau centre de la Tora en Europe occidentale, supplantant les écoles de la région du Rhin. Les dernières années de Rachi furent marquées par l’époque noire de la première croisade, qui a emporté avec elle de très nombreuses communautés juives, dont de nombreux amis ainsi que des membres de sa famille.

Nous connaissons avec précision la date de sa mort, le 29 tamouz de l’année (4865), le 13 juillet 1105. Selon la tradition, il est mort en écrivant le mot «pur» dans son commentaire sur le traité de Makkoth (19b). Nous ne savons pas où se trouve son tombeau.

En tout état de cause, il reste à savoir pourquoi ses commentaires sur la Tora et le Talmud sont devenus et restés jusqu’à ce jour, les plus importants. Au-delà de ses connaissances encyclopédiques de presque toutes les sources traditionnelles de la Tora écrite et orale, il nous semble qu’il y a deux réponses à cette question. La première réside dans ses exceptionnels traits de caractères, ses midoth. La Tora témoigne à propos de Moché Rabbénou qu’il était « humble entre tous les hommes », et c’est pour cela qu’il a mérité de recevoir la Tora. Il n’y a aucun doute sur le fait que cette définition peut pareillement se rapporter à Rachi, tant sa modestie, sa simplicité, son humilité, sa modération, son amour et sa patience pour tous et toutes étaient proverbiales. De toutes les histoires rapportées à son sujet, de toutes ses décisions halakhiques et, globalement, de tous ses écrits, il ressort la pureté de son âme et de son cœur. La modestie de cet auteur est une évidence pour quiconque étudie ses commentaires, tant sa sincérité et son absence de faux-semblants y transparaissent. Lorsque Rachi ne connaît pas ou ne comprend pas quelque chose, il ne se lance pas dans de grandes explications non fondées ou hypothétiques, mais dit simplement ne pas savoir ou ne pas comprendre. A de nombreuses reprises, il accepte ses erreurs et l’opinion des autres, en l’occurrence de la part de ses propres élèves. Son amour pour le peuple d’Israël est sans limites, et il s’adresse avec tendresse, amour, respect et modestie à chacun de ses interlocuteurs. De la même manière l’ensemble de son commentaire, sans être pour autant « élémentaire », loin de là, est construit de manière à emmener l’étudiant sur la voie de la compréhension du Talmud.

La deuxième raison de la popularité exceptionnelle des commentaires de Rachi réside dans leur structure propre. Son commentaire sur la Tora est diamétralement opposé à celui de ses prédécesseurs, car il se concentre sur le pechat (sens simple de la Tora), même si en réalité, Rachi y a souvent rapporté des midrachim (explications allégoriques), qu’il considère comme apportant l’explication première des versets. Le Méïri, grand Maître médiéval qui habitait dans le Sud de la France, a pu dire que si l’on étudie en profondeur ses propos, on se rend compte qu’il répond à toutes les questions qu’on a pu se poser plus tard dans tous les autres commentaires.

Il est à noter qu’aucun autre commentateur de la Tora n’a eu le bénéfice d’avoir autant été commenté lui-même, puisque l’on recense plus de cent cinquante commentaires sur celui de Rachi sur la Tora, sans compter que de nouveaux s’écrivent tous les jours ! Ce fait à lui seul peut nous aider à apprécier Rachi à sa juste et exceptionnelle valeur. Du point de vue méthodologique, le commentaire de Rachi sur la Tora vient essentiellement éclaircir différentes difficultés du texte. Ses remarques viennent le plus souvent répondre à des questions que l’étudiant peut être amené à soulever ou alors simplement pour éviter une mauvaise compréhension due à d’apparentes contradictions ou l’emploi de termes peu clairs.

Ses commentaires sur le Talmud ont été intégrés sur la page standard et ils se distinguent par leur brièveté et leur clarté, particulièrement en les comparant avec d’autres commentaires de la même époque. Rachi les a revus plusieurs fois et ils nous sont parvenus sous une forme parfaite. Chose peu courante, ils réussissent la gageure d’être utiles et compréhensibles à tous les niveaux d’études, depuis les débutants jusqu’au plus grands érudits.

Pour conclure, il est nécessaire d’ajouter un mot sur les fameux La’azé Rachi (la’azim : en langue étrangère). Ce sont plus de trois mille mots tirés de la langue d’oïl que l’on retrouve dans ses commentaires à la fois sur la Tora et sur le Talmud et, qui sont très précieux pour ceux qui étudient l’ancien français. Ainsi l’influence de Rachi est allée bien au-delà des frontières du judaïsme, car non seulement il est reconnu comme étant un grand Sage juif, mais également comme une personnalité marquante de l’histoire de France.